Fred the Clown de Roger Landridge (Fantagraphics)
Si Voltaire avait bossé chez Arlette Gruss, Candide se serait appelé
Fred the Clown. Côtoyant le malheur comme d'autres Laurent Weil sur la
Croisette (ce qui revient un peu au même en fait), Fred ne subit pas
seulement tout la misère du monde mais il se l'inflige en plus à lui
même de par sa naïveté et sa bêtise crasse. De naufragé insulaire à
amoureux sans cesse rembarré, il est un peu celui dont tout le monde
rit, le centre de toutes les moqueries qui fait disparaitre presque
toute estime de soi. Bref, Fred il a mal à la vie.
Et c'est avec ce
personnage quasi-muet et totalement incapable que Roger Landridge
occasionne un bon nombre de rires, sourires et fou rires.
Après
Zoot Suite et sa recherche du non-sens de la vie, l'ami Roger; à qui on
ne propose aucun projet, décide de lancer un site internet pour lequel
il jure de dessiner un comic-strip par semaine. Hotelfred.com est né.
Des numéros de Fred the Clown regroupant les strips suivront et tout ce
beau bordel sera regroupé en 2004 dans une intégrale n&b chez
Fantagraphics qui décidément n'en ratent pas une.
Aucune page ne se
ressemble, à l'humour le plus noir s'acharnant sur le pauvre Fred
succède la joyeuse stupidité de gags volontairement idiots, mais le
sentiment qui traverse la globalité de l'oeuvre est une douce poésie
mélancolique qui permet de s'attacher au personnage. Rire et pitié se
mélange à travers les gags nombreux et variés qui parsèment le bouquin.
La
variété, on la doit à la volonté de Landridge de créer un imaginaire
ajoutant à la crédibilité du personnage, et surtout à son envie de se
faire plaisir. Pour cela il s'est dit que TOUT pouvait servir de base à
la narration des différentes historiettes : acrostiches, poésie,
proverbes, livres pour enfants (avec un joli pastiche du Max et les
Maximonstres de Maurice Sendak), mots croisés, théâtre shakespearien,
pubs, recettes de cuisines... Fred the Clown est une oeuvre protéiforme
qui navigue entre humour très littéraire jonglant avec les mots et
longues histoires muettes rythmées par la virtuosité du découpage.
Ca
commence avec une sublime supercherie où Landridge explique à travers
un long texte et exemples à l'appui que le monde du neuvième art ne
serait pas ce qu'il est sans Fred the Clown. Il nous
montre l'évolution du personnage de sa naissance à la fin du 19ème
siècle jusqu'à nos jours, racontant les batailles entres les différents
dessinateurs, chacun ayant un style ressemblant étrangement à des
auteurs plus connus. La famille Illico de George MacManus, Little Nemo de Windsor McCay, Krazy Kat de George Herriman ou encore l'oeuvre de Robert Crumb ne seraient donc que de pâles copies des aventures de Fred the Clown. Honte à eux.
En
plus d'être bien senti, cette partie montre l'incroyable talent de
caméleon de Landridge s'adaptant impeccablement à tous les styles
graphiques. Son sien à lui étant ultra dynamique et cartoonesque, mixé
avec l'humour à froid, je comprends qu'on puisse ne pas accrocher du
tout mais si on se donne la peine ça vaut vraiment le coup d'oeil.
L'avis de Fred sur la question :
Roger
Landridge continue de dessiner des strips de Fred sur son site en plus
d'avoir créé une gallerie de personnages assez rocambolesques :
http://www.webcomicsnation.com/rogerlangridge/